Au creux
des larmes


« Nous ne sommes pas de simples témoins de ce qui se passe. Nous sommes les corps par lesquels la mutation arrive et s’installe. La question n’est pas de savoir qui nous sommes, mais ce que nous voulons devenir. » 1






comprendre
le vertige.


On dit des Naïades qu’elles pouvaient vivre pendant des milliers d’années, tout en restant toujours jeunes et belles. Qu’elles avaient des talents de guérisseuses. Que les malades venaient boire l’eau de leur source. On dit aussi que la simple vision d’une Naïade était risquée car elle pouvait entraîner une folie passagère. eden levi am invoque les Naïades, et en propose une nouvelle mythologie. De celle qui cède à l’intimité, la laisse communier avec la nature alentour – de glaise et d’eau.

Rivers est un contre-récit. Une narration à contre-courant d’une esthétique blanche et hétéronormative. Une volonté de choquer les paysages mortifères – en proposer une histoire plus révolutionnaire, plus complexe. Un lieu pour repenser les apparences qui limitent au corps. eden propose à celleux qui se baignent de peupler les rivières, se délester dans l’eau douce, être fièr.e de ce à quoi iels appartiennent. De poser la nudité comme un empuissancement des corps marginalisés. Habiter la nature, la seule à supporter la vue des monstres.

C’est une histoire d’amour, d’aimer les autres tel.les qu’iels sont. Les rendre à elleux-mêmes. eden te propose de te mettre nu.e. si tu en as envie. D’enlever tes vêtements. De comprendre ce qui se joue au moment où il n’y a plus rien entre ce qui t’entoure et ta peau. A quel point ça révèlera ta force d’être dépossédé.e d’apparition sociale – celle attendue, celle qui te fige et t’interdit de dépasser. Celle qui oublie la multitude. Se défaire de ce qui nous piège à nous-même, parce que nous sommes multiples, et changeant.e. Etel Adnan disait « Ton identité est ta prison ». Au conflit de ce qu’on aimerait être, de comment on s’efface parfois au point de disparaitre – eden propose de révéler chaque force qui émane de chaque personnalité. Tantôt amphibique, toujours étrange, puissante. Qui regarde droit dans les yeux. Trouve une résistance, une assise. Une pause magistrale.
eden levi am magnifie l’ambiguïté de genre. Il désexualise les corps, les dégénitalise. Débinarise les clichés esthétiques du nu. Questionne. Déplace les attentes. Photographie des corps cailloux, des mains d’eau, des yeux rochers. Rend mutant.e. Met à l’honneur une génération qui se réinvente en tant qu’espèce, qui décide de son propre langage. Qui, par ce biais-là, touche à l’immortalité. L’usage du procédé photographique analogique monochrome brouille les repères temporels, caresse une réalité sourde. Amplifie les silhouettes sculpturales. Un monde rêvé en noir et blanc, une vérité frontale. Une technique à rebours d’une pratique numérique actuelle. Un appareil reflex bi-objectif qui permet de poser un regard indirect sur la nudité et l’autre en face. Qui enregistre le réel, en témoigne.

L’archivage est une des questions les plus importantes de nos communautés queer. La préservation de traces visuelles des minorités de genre est primordiale dans un monde qui nous retire sans cesse l’accès à ce qui nous a précédé. Nous avons un devoir de représentation et de mémoire, et cette lutte est indissociable de qui nous sommes.

Dans l’autoportrait d’eden qui nous tend un miroir, je suis touchée par sa manière directe et sensible de s’inclure dans l’histoire, de toujours parler d’un point de vue situé, de parler avec et pour les autres. eden levi am est généreuxse et donne de l’importance aux voix de chacun.e. eden se souvient de sa propre mise à nue, et de sa révélation. Elle partage ses ressources. Convoque la communauté queer féministe dont elle fait partie. Il s’agit ici, et pour toujours, d’amitié et de force commune à activer ensemble.

Ses images, eden les a voulu grandeur nature. De la taille qui dessine les contours des corps invisibles. Des images aussi grandes que celleux qui les regardent pour faire exister des corps palais, qui révèlent la beauté de leur force. Repeupler les rivières et les imaginaires. eden levi am rend l’existence de touste importante et colossale. Rivers est un trésor inestimable.

Gorge

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1 Preciado Paul B., Hypothèse révolution, Dysphoria mundi, Grasset, 2022, page 65




RIVERS sent son corps RIVERS écarte les jambes et montre son sexe RIVERS offre des fleurs RIVERS fait résonner ta pensée dans la voix d’󵆐 autre RIVERS baise en plein jour RIVERS cherche du sens au coeur des monstres RIVERS écrit des choses perturbantes RIVERS se masturbe matin midi et soir RIVERS tombe amoureu󵞰 RIVERS fait des tours de moto coll󱤠 à tes fesses RIVERS se souvient de sa force RIVERS se fout du jugement de l’autre RIVERS est douxce RIVERS a le courage de se battre RIVERS lèche ton sang quand tu as mal RIVERS rit aux larmes RIVERS aime tes cicatrices RIVERS cède à la tentation RIVERS change de prénom RIVERS suffoque d’elle RIVERS se révèle RIVERS se relève RIVERS rit dans le ventre RIVERS aime la nuit RIVERS plonge dans l’ombre RIVERS parle à la lune RIVERS suce des sexes RIVERS nage loin de tes larmes RIVERS écoute le silence RIVERS se défait de l’amer RIVERS dit stop RIVERS n’a pas de limites RIVERS est fou RIVERS pense sa bouche comme un passage RIVERS sent l’eau fraîche au creux de sa gorge RIVERS te dit à quel point tu es importan󴤐 RIVERS mange des fraises sauvages dans la bouche de l’autre RIVERS oublie le temps RIVERS caresse un chien doux RIVERS chérit ses souvenirs RIVERS aime s󱄰n prochai󳜠 RIVERS se rase la tête RIVERS cache ses seins RIVERS voit ce󳌰ux qu’󲜐l aime s’incarner RIVERS est romantique RIVERS conduit vite RIVERS observe l’injustice qui fractalise RIVERS est capable de rupture RIVERS a des secrets RIVERS va voir la mer en hiver RIVERS sait qu’󲜐l n’est pas seu󳌐 RIVERS part RIVERS drague RIVERS est heureu󵞰 RIVERS est instable RIVERS ne laisse personne l’isoler RIVERS se débaptise RIVERS aperçoit le printemps RIVERS est une tornade RIVERS se sent exister quand tu l󱄐 regardes RIVERS se perd dans le désert RIVERS tatoue des cœurs RIVERS à l’intérieur de toi RIVERS joue au loto RIVERS te prend n󵄐 en photo RIVERS est aggressi󲅐e RIVERS est fie󴗰 d’avoir du temps pour t’aimer RIVERS boit tes larmes RIVERS est une bombe RIVERS se laisse aller à ta langue RIVERS apprend tout le temps RIVERS ne veut pas oublier jamais et pour toujours RIVERS